De romandie.com
LAC NATRON (Tanzanie) - Des dizaines de milliers de flamants nains glissent dans les airs dans un nuage saumon. Au sol, des monticules de boue, juchés sur des bancs de sel au milieu du lac Natron, en attestent: les oiseaux font ici leur nid.
Les eaux riches en carbonate de sodium du lac, situé dans le nord de la Tanzanie, sont l'unique lieu de nidification des volatiles de toute l'Afrique de l'Est. La région accueille elle-même les trois quarts des flamants nains du monde, selon la Société britannique de protection des oiseaux (RSPB).
Tous dépendent du lac Natron pour se reproduire, explique la RSPB. Ici, la nourriture est abondante, les sites de nidification aussi et, surtout, le lac est isolé et tranquille.
Le lac se trouve au pied du volcan Ol Doinyo Lengai -- montagne sacrée pour la population locale, les Massaï, et seul volcan encore actif au monde à émettre de la carbonatite, une lave riche en carbonate de sodium. Ses rejets sont responsables de la causticité des eaux du lac, qui elle-même tient les prédateurs à distance des flamants et de leurs nids.
Mais ce havre de paix est aujourd'hui menacé par un projet d'usine à carbonate de soude.
En avril déjà, le président tanzanien, Jakaya Kikwete, a créé l'émoi parmi les écologistes, en affirmant qu'il n'y avait aucun besoin de retarder davantage un projet qui donnera un coup de fouet à l'économie du pays.
Selon lui, les réserves du lac sont suffisantes pour faire de la Tanzanie le plus grand producteur au monde de carbonate de sodium, un agent utilisé comme adoucisseur dans les lessives ou la fabrication de certains types de verre.
Nous nous attendons à ce que (l'usine) augmente le niveau de vie de la population ici, créé des emplois et soutienne des services sociaux comme l'éducation et la santé, renchérit Ibrahim Matovu, le chef du district de Longido, qui abrite le volcan. La ville éponyme souffre furieusement d'un manque d'emplois dans le secteur formel.
Les oiseaux partiront
Sous la pression des écologistes, le gouvernement a tout de même proposé d'éloigner l'usine de quelques dizaines de kilomètres du lac.
Mais les canalisations suffiront à perturber la reproduction des flamants, soutiennent leurs défenseurs. Les infrastructures, la présence d'ouvriers sur le site, le fait aussi qu'il faudra déplacer les tuyaux pour pomper le carbonate de soude dans différentes parties du lac n'arrangeront rien.
Il suffit de peu pour que la colonie entière abandonne ses nids, estime la RSPB. Les conséquences pour la sauvegarde des flamants risquent d'être d'autant plus lourdes que les oiseaux ne se reproduisent que tous les cinq à six ans.
Parmi la population, les avis sont mitigés.
En ce qui me concerne, je n'aime pas l'idée, dit Lemra Kingi, responsable de l'office de tourisme du village d'Engaresero, au pied du volcan. Les oiseaux partiront, prédit-il, perché sur les racines entrelacées d'un acacia, une traditionnelle couverture massaï orange et violette sur les épaules.
Nous ne savons pas comment l'usine fonctionnera, mais nous voulons les emplois, nuance pourtant Lucas Lemole, secrétaire de l'association locale des guides. Nous aurons des emplois, (...) un hopital, des communications, poursuit le jeune homme de 23 ans.
Engaresero, comme le reste du pourtour du lac, est dépourvu de réseau de téléphonie mobile. La principale route, sur la rive ouest, est une piste caillouteuse que lièvres, mangoustes et babouins traversent sans avoir à se soucier des rares voitures qui passent.
Reste à savoir si l'usine aura effectivement des retombées sur la vie locale: un peu plus au nord, au Kenya, un projet similaire a déçu.
Il y a un bon exemple au Kenya, avec le lac à carbonate de soude de Magadi, raconte Joseph Seuri, coordinateur d'une NGO communautaire dans le village de Pinyinyi, à 29 kilomètres de Magadi.
Une usine de carbonate de sodium y est déjà en exploitation et le lac, pourtant à une journée seulement de route de la capitale kényane Nairobi, n'apparaît sur aucun guide touristique.
Ils avaient dit à la population qu'elle aurait du travail, se souvient-il, amer. Et puis ils ont chassé les gens et empêché au bétail de brouter près de l'usine.