De illustre.ch
Dotés de veste duvet, bottes, raquettes et igloo, le grand tétras et la gélinotte des bois peuvent braver l’hiver du Jura grâce à un équipement de course. Mais la SURVIE de ces oiseaux tient aussi à leur tranquillité.Gélinotte: reconnaissable à sa bavette noire, ce mâle à la crête hérissée est inquiet. Au repos sous un sapin, il reste toujours dans l’ombre pour augmenter ses chances de passer inaperçu.
Photo Jean-Lou Zimmermann
Par Mireille Monnier
Le grand tétras est un peu le Travolta des bois, rendu célèbre – pour son malheur – par les spectaculaires parades nuptiales qui réunissent les mâles sur leurs places de danse au printemps. La gélinotte, elle, c’est la discrète. Une petite poule en tenue de camouflage, très difficile à observer. Ces deux oiseaux font pourtant partie du même ordre, les gallinacés, et de la même famille, les tétraonidés. Ils partagent aussi le même habitat, les mêmes stratégies de survie à l’hiver et… le même statut d’espèces menacées.
450 COQS EN SUISSE
Chez nous, le tétras est carrément en perdition. On estime qu’il reste environ 450 coqs en Suisse – recensés sur les places de danse –, dont une centaine en Suisse romande. Et, si le cas de la gélinotte des bois est moins dramatique (avec 7500 à 9000 couples sur l’ensemble du territoire), l’espèce est tout de même considérée aujourd’hui comme potentiellement menacée.
LA SURVIE PAR CŒUR
Leurs ennemis? «L’uniformisation et le morcellement des forêts, mais aussi les dérangements dus aux activités humaines. Le tétras et la gélinotte sont très, très sédentaires; une fois qu’ils sont installés dans un endroit, ils le connaissent par cœur et c’est ce qui optimise leurs chances de survie», explique Blaise Mulhauser, directeur adjoint du Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel et président de l’association romande Sorbus, qui travaille à la sauvegarde des oiseaux rares et des boisements utiles à leur survie.
Dérangés au printemps, ces deux nicheurs au sol peuvent aller jusqu’à abandonner leur nid, en dernière extrémité. Débusqués en hiver, ils dépensent à fuir une énergie quirisque de leur faire défaut pour échapper à leurs prédateurs. On peut donc contribuer à la préservation de ces deux espèces en évitant toutes les activités qui peuvent les perturber, notamment, en cette saison, la raquette et le ski de fond sauvages, ainsi que les balades avec un chien sans laisse.
LIMITE – 45 °C
Face aux rigueurs de l’hiver, nos deux oiseaux sont heureusement moins démunis. Pour marcher dans la neige, la nature leur a offert des bottes et des raquettes, des pattes emplumées dont la portance est augmentée par des rangées d’écailles sur le bord des doigts. Et pour résister au froid, c’est cache-bec et veste duvet: des plumes recouvrent leurs narines et des plumes doubles garantissent l’isolation du corps jusqu’à des températures sibériennes de - 45 °C!
UN IGLOO POUR LA NUIT
Les oiseaux peuvent ainsi passer la nuit à la belle étoile perchés sur des arbres, installés au bout d’une branche dont la moindre vibration les avertira de l’approche d’un ennemi. Mais, s’il y a suffisamment de neige fraîche, ils savent aussi se construire un igloo qui les protégera simultanément des prédateurs et du froid. La gélinotte, qui n’a besoin que de 15 cm de poudreuse pour s’enfouir, contre 30 cm pour la poule du tétras et 45 pour le mâle, est passée championne en la matière. Elle creuse son igloo au bout d’un couloir de plusieurs mètres souvent muni d’un coude: elle peut ainsi apercevoir un éventuel intrus et cela lui donne le temps de fuir en s’arrachant d’un coup d’aile à son léger abri.
DU SAPIN AU MENU
Dernier atout de la gélinotte des bois et du tétras, la nature a prolongé leur tube digestif avec des cæcums, versions high-tech de nos appendices, où logent une armada de bactéries capables de digérer la cellulose de leurs menus hivernaux. Le tétras peut ainsi survivre en ne mangeant que des aiguilles de sapin et d’épicéa, tout ce que la forêt lui offre pour remplacer son régime printanier, très éclectique. Il lui faut juste avaler, en parallèle, de petits cailloux pour contribuer au broyage de ces aiguilles. La gélinotte, elle, se rabat sur les bourgeons d’alisier et de sorbier, agrémentant le tout de quelques cynorrhodons. Profitant des heures de soleil pour se réchauffer, souvent au petit matin, nos deux compères se nourrissent ainsi trois ou quatre fois dans la journée. Mais les économies d’énergie étant vitales pour l’un et l’autre, ils bougent le moins possible.
Ne les forçons donc pas à le faire!