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Les espèces invasives, introduites volontairement ou non par l’Homme, se caractérisent souvent par une progression rapide de leurs effectifs. Elles peuvent alors parfois concurrencer les espèces locales pour les ressources alimentaires et les sites de nidification.
En France, quelques oiseaux sont considérés comme invasifs : c'est le cas par exemple de la Perruche à collier, de la Bernache du Canada, de l'Ibis sacré, du Léiothrix jaune, mais aussi de l'Ouette d'Égypte, une petite oie originaire d'Afrique tropicale.
Introduite en Grande-Bretagne au 17ème siècle, elle a colonisé plusieurs pays du continent comme les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne, où vivent désormais des milliers de couples.
En France, l'espèce connaît depuis quelques années une progression rapide. L’essentiel de sa population se concentre dans le Nord-Pas-de-Calais, en Lorraine et surtout en Alsace.
Nous vous proposons d'énumérer les caractéristiques qui peuvent expliquer le dynamisme de cette espèce.
Nous remercions Christian Dronneau de la LPO Alsace pour nous avoir fourni des informations utiles et Eric Schmitt pour nous avoir aidés à illustrer cet article.
La population alsacienne d'Ouettes d'Egypte se concentre dans la vallée du Rhin.
L'Ouette d'Égypte en Alsace : les raisons d'un succès L'Ouette d'Égypte (Alopochen aegyptiacus)
Ouette d'Égypte (Alopchen aegyptiacus) adulte, Alsace.
Photographie : Eric Schmitt
Longueur : 63-73 cm.
L'Ouette d'Égypte est une petite oie au plumage globalement brun roussâtre, avec une tête plus claire présentant une tâche marron près de l'œil.
Les deux sexes sont semblables, bien que le mâle soit généralement un peu plus grand que la femelle. Certains individus sont plus ou moins grisâtres.
En vol, on distingue deux grandes zones blanches sur les ailes.
Le juvénile est plus terne et sans tache oculaire.
Les pattes sont longues et de couleur chair.
L'Ouette d'Égypte vit le long des lacs et cours d'eau.
Son aire de répartition originelle se situe en Afrique tropicale, au sud du Sahara, ainsi que la vallée du Nil jusqu'à Assouan. Elle a été introduite au Royaume-Uni au 17ème siècle, et des populations férales importantes sont désormais établies dans plusieurs pays européens dont les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne .
Historique en Europe
Groupe d'Ouettes d'Égypte (Alopochen aegyptiacus) dans la vallée de la Nied (Moselle).
Photographie : Pascal Toussaint
L'Ouette d'Égypte a été introduite au Royaume-Uni dès le XVIIème siècle pour des raisons ornementales, et sa population s'y est ensuite développée de façon importante, atteignant 1000 oiseaux au début des années 2000. Elle a été déclarée comme nuisible en 2009, et sa population actuelle serait de moins de 400 individus et essentiellement limitée au Norfolk.
L'Ouette d'Égypte a niché pour la première fois aux Pays-Bas près de La Haye en 1967. Une deuxième colonie s'est installée à Drenthe en 1983. Elles totalisaient à elles deux environ 1340 couples en 1994. Environ 5000 couples étaient présents dans le pays batave au début des années 2000.
Les ornithologues néerlandais ont constaté qu'il existait une relation linéaire entre la racine carrée de la surface des territoires occupés et le temps. La vitesse d'expansion était d'environ 3 kilomètres par an. Le succès de reproduction a été particulièrement important au cours des premières années à cause des hivers doux qui se sont succédé entre 1972 et 1978. Il faut noter que dans la colonie de Drenthe, un faible mais régulier afflux d'oiseaux échappés d'un parc voisin a constitué un facteur de croissance majeur.
L'espèce a aussi colonisé les pays voisins, dont la Belgique (1000 couples au début des années 2000) et l'Allemagne (1000-1500 couples). Elle progresse vers le nord (Danemark) et le sud (France).
En France, seuls 23 couples avaient été recensés en 2006 (enquête LPO), mais depuis sa population a fortement progressé, même si elle reste encore principalement concentrée au nord-est du pays (régions Nord-Pas-de-Calais, Lorraine et Alsace). Au niveau national, le rythme annuel d'accroissement de la population nicheuse a été estimé à 45 %. En 2011, il y aurait de 50 à 100 couples pour la seule région alsacienne.
En Alsace
Nombre de couples d'Ouettes d'Égypte en Alsace en 2010 et 2011. Points rouges : nicheurs certains, points orange : nicheurs probables et points jaunes : nicheurs possibles.
Sources : Odonat et LPO Alsace
En Alsace, l'Ouette d'Égypte est l'espèce exotique qui a la plus forte dynamique de population, la Bernache du Canada (Branta canadensis) connaissant aussi une forte expansion.
Il s'agit d'une population sédentaire d'origine inconnue, peut-être arrivée par colonisation spontanée depuis l'Allemagne au début des années 1970 via la vallée du Rhin.
On connaît le cas d'un couple lâché par le propriétaire d'une gravière dans le Haut-Rhin et qui y a niché dans les années 1990.
En dehors d'une ou deux données datant du XIXème siècle, la première mention contemporaine date du 13 avril 1971 à Kembs dans le Haut-Rhin.
Sa progression a ensuite été lente mais régulière : 3 individus en 1982, 7 en 1992 et une trentaine en 2002.
Le premier groupe important (33 individus) a été observé en 2001 dans le nord du Bas-Rhin. La population totale était estimée à 70 - 100 individus en 2006 et à 450 - 650 individus en 2011. Des groupes dépassant localement 100 individus sont parfois vus, surtout en hiver mais aussi à la fin de l'été (mue).
Le nombre de couples nicheurs alsaciens est également en forte augmentation. Des couples isolés ont d'abord été repérés en 1983 et en 1992. La nidification est régulière depuis 2001 : cinq couples ont été recensés en 2006, un chiffre atteignant au moins 50 en 2011 (et probablement entre 60 et 100 compte tenu de la grande variété des biotopes de nidification choisis et de la difficulté de les recenser de façon exhaustive).
Certains secteurs sont particulièrement favorables pour l'observer :
- dans le Bas-Rhin, on peut citer le delta de la Sauer à Munchhausen, le Rhin à Plobsheim, le Port de Seltz, la gravière de Benfeld ou le Canal d'Huningue à Village-Neuf
- dans le Haut-Rhin, le secteur d'Aspach-le-Bas.
Une espèce mobileL'Ouette d'Égypte est essentiellement terrestre, mais elle se perche volontiers sur les arbres voire les structures humaines. Elle passe ainsi la nuit en hauteur, ce qui la met à l'abri des prédateurs. L'eau sert surtout de refuge en cas de danger. Elle nage toutefois bien et vite.
Son vol est puissant et rapide et elle est très mobile : si une zone devient moins favorable, elle peut se déplacer de 70 à 800 km pour trouver un habitat plus accueillant.
Ouettes d'Égypte (Alopchen aegyptiacus) explorant un ancien nid de Cigogne blanche, Alsace.
Photographie : Eric Schmitt
L'Ouette d'Égypte fréquente une grande variété d'habitats proches de l'eau (lac, étang, cours d'eau). Elle recherche les secteurs herbeux pour se nourrir. En hiver, des groupes fréquentent les prairies et les cultures de céréales.
Son alimentation est plus variée que celle des oies "grises" et comprend aussi des insectes.
Pour nicher, elle recherche les zones à l'abri des prédateurs, notamment les îles. Elle apprécie par exemple les golfs et les gravières, des habitats artificiels en expansion.
Elle peut nicher dans les trous des vieux arbres, dans de grands nids d'autres espèces, par exemple de cigognes, de rapaces, de Corvidés, d'Ombrette africaine (Scopus umbretta) voire de Républicains sociaux (Philetairus socius), mais aussi au sol sous un buisson (en Afrique du Sud, 67 % des ouettes nichent au sol), sur des falaises voire sur des bâtiments.
Des couples fidèles et territoriaux
Ouettes d'Égypte (Alopchen aegyptiacus), Alsace.
Photographie : Eric Schmitt
L'ouette est grégaire, mais les couples restent généralement fidèles. Les deux sexes sont très territoriaux durant la saison de reproduction et ils ne tolèrent alors aucune intrusion sur leur domaine, surtout de la part de leurs congénères. On peut alors assister à de véritables poursuites aériennes. A la moindre alerte, la femelle pousse des cris rauques et puissants.
Les ouettes peuvent être très agressives envers les autres oiseaux aquatiques pour protéger leurs jeunes.
Le territoire moyen d'un couple couvre environ un hectare, mais il peut être beaucoup plus grand.
Une longue saison de reproductionL'espèce est sédentaire et est donc sensible aux hivers rigoureux qui provoquent une mortalité élevée. Mais grâce à la longueur de sa saison de reproduction qui atteint six mois, elle peut adapter sa date de ponte. Le début de l'incubation est ainsi positivement corrélé à la sévérité de l'hiver.
Bien que la taille des populations soit diminuée suite aux hivers rigoureux, sa faculté de décaler le début de sa saison de nidification ou de la prolonger tard dans l'année peut rapidement compenser ces pertes.
Elle peut pondre deux fois dans l'année.
Certains couples peuvent avoir des jeunes au cœur de l'hiver : Jean-Marc Bronner (liste Obsalsace) a rapporté qu'un couple avec huit jeunes non encore volants avaient ainsi été vus à Eschau (Bas-Rhin) en pleine vague de froid, et que des cas similaires avaient été signalés ailleurs dans la région.
Cette adaptabilité pourrait expliquer le succès de cette espèce tropicale en Europe occidentale.
Un nombre élevé de poussinsL'espèce est monogame. Une femelle peut pondre jusqu'à 22 oeufs. Le succès de reproduction de l'espèce dans certaines régions comme aux Pays-Bas peut être supérieur à celui observé en Afrique.
En Afrique du Sud, jusqu'à 81 % des petits peuvent atteindre l'âge adulte. Sur les terrains de golf de ce pays, le nombre moyen de petits serait d'environ dix, et la plupart d'entre eux survivront même si des prédateurs comme les mangoustes ou les rapaces sont présents dans les environs.
Une dispersion forcée des jeunesLes jeunes quittent normalement le territoire parental vers l'âge de trois mois, mais s'ils ne partent pas volontairement, les mâles dominants les chasseront activement : cela se produit généralement à la fin de l'été ou au début de l'automne. Cela permet de faire face à des ressources alimentaires limitées, à l'insuffisance de bons sites de nidification et de dortoirs, et favorise la recherche de nouveaux territoires.
Des limites
Ouettes d'Égypte (Alopchen aegyptiacus), Alsace.
Photographie : Eric Schmitt
La sévérité des hivers pourrait limiter sa progression en Europe de l'Est, l'isotherme du 0° en janvier pouvant constituer une "barrière thermique". Mais le réchauffement climatique pourrait favoriser à moyen terme la colonisation de régions actuellement trop froides.
La productivité de certaines populations est localement faible, comme dans le Norfolk (Grande-Bretagne).
On a constaté aux Pays-Bas que le succès de la reproduction diminuait quelques années après la colonisation d'une zone, la densité constituant alors un facteur limitant.
Les tirs, une bonne solution ?Un élément déterminant pouvant (selon ses partisans) freiner voire stopper l'expansion de l'ouette est la mise en place de programmes d'élimination. Certains ont ainsi lancé en Grande-Bretagne, en Suisse mais aussi en France.
En Alsace et en Lorraine, la Direction Inter-Régionale Nord-est de l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Forêt) a proposé un arrêté préfectoral autorisant le tir de l’espèce en Moselle en 2009, dans le Haut-Rhin en 2010, et dans le Bas-Rhin en 2011. Les titulaires du droit de chasse et leurs ayant droits sont autorisés à détruire cette espèce durant la période comprise entre le 15 avril et le dernier jour de février. Les agents assermentés chargés de la police de la chasse et les garde-chasses particuliers assermentés peuvent "détruire" cette espèce durant toute l’année. Les personnes autorisées à pratiquer des opérations de destruction adresseront un bilan positif des tirs réalisés chaque année et au plus tard pour le 15 mars à la Direction Départementale des Territoires du Bas-Rhin. Un suivi annuel devrait être effectué pour analyser l’efficacité de ces campagnes d'éradication.
Mais le Roberts Birds of South Africa et BirdLife South Africa ont constaté que les tirs et les empoisonnements n'avaient pas ou peu d'effet étant donné le taux élevé de survie de l'espèce dans la nature. En outre, quand un mâle dominant est abattu, le territoire devient disponible pour de nouveaux oiseaux.
Des solutions plus efficaces à long terme
Ouette d'Égypte (Alopchen aegyptiacus), Alsace.
Photographie : Eric Schmitt
En Afrique du Sud, les ornithologues ont constaté que la meilleure façon de rendre un secteur moins attractif pour l'Ouette d'Egypte était de planter une barrière de végétation (arbustes, roseaux) le long des berges : l'eau servant de refuge pour l'espèce en cas de danger, son accessibilité sera moindre et le secteur sera alors considéré comme moins sûr.
Même si elles sont agressives durant la saison de nidification, les ouettes préfèrent généralement rester à l'écart des autres oiseaux aquatiques : favoriser la diversité spécifique et donc la compétition peut décourager leur installation.
Une densité importante de rapaces, qui chassent leurs poussins, est aussi un facteur permettant de diminuer l'expansion des ouettes.
Fragmenter les grandes étendues herbeuses proches des plans d'eau (par exemple en plantant des arbustes) diminue enfin leur attractivité.
A visiter
- Le site web de la LPO Alsace : http://alsace.lpo.fr/
- Le site collaboratif www.faune-alsace.org
Sources
- Bronwyn (2010). The Ubiquitous Egyptian Goose: Dealing with these “problem” birds. The Birder online. www.thebirderonline.com/?p=242
- Rob Lensink (1998). Temporal and spatial expansion of the Egyptian goose Alopochen aegyptiacus in The Netherlands, 1967–94. Journal of Biogeography Volume 25, numéro 2, pages 251–263. Mars. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1046/j.1365-2699.1998.252173.x/abstract
- W. J. Sutherlanda et G. Allporta (1991). The distribution and ecology of naturalized Egyptian Geese Alopochen aegyptiacus in Britain. Bird Study Volume 38, numéro 2. http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00063659109477080
- Paul HUREL (2011). Gestion de l’Ouette d’Egypte dans le Bas-Rhin. Batzendorf. http://www.batzendorf.fr/wp-content/uploads/2011/05/Article-Ouette-Bas-Rhin.pdf
- Wikipedia. Egyptian Goose. http://en.wikipedia.org/wiki/Alopochen_aegyptiacus 
Sujet: L'Ouette d'Egypte en Alsace : les raisons d'un succès 
Sam 28 Jan - 17:49
